T
(Césaire et
Tidiane)
Anthropologue, vous publiez chez Gallimard. Votre dernier ouvrage le
« Génocide voilé », a été bien accueilli par la critique et les spécialistes. C’est même le premier ouvrage d’un chercheur africain nominé en 2008, dans la catégorie « Essai »
du prestigieux Prix Renaudot. Pourquoi traiter d’un sujet aussi brûlant que la traite transsaharienne et orientale ?
1.
Vous savez nombre de chercheurs africains ou autre, veulent restreindre le champ de leurs travaux sur les traites
négrières, à uniquement celle pratiquée par les nations occidentales, en ignorant le crime des Arabo-musulmans. Et lorsque de rares chercheurs courageux osent l’aborder, c’est pour en
sous-évaluer l’importance, tout en surdimensionnant la ponction transatlantique. Cette dernière nous est bien connue et est largement débattue depuis des décennies. Les études et synthèses sur la
traite transatlantique sont légion. J’y ai consacré moi-même trois ouvrages. Mais en Afrique comme dans le reste du monde arabo-musulman, un silence coupable a toujours recouvert cette
douloureuse page de notre histoire commune. Alors qu’il est difficile de ne pas qualifier cette entreprise criminelle, de génocide de peuples noirs par massacres, razzias sanglantes puis
castration massive. C’est comme un pacte virtuel scellé entre les descendants des victimes et ceux des bourreaux, qui aboutit à ce déni. Ce pacte est virtuel mais la conspiration est bien
réelle. Parce que dans cette sorte de « syndrome de Stockholm à l’africaine », tout ce beau monde s’arrange sur le dos de l’Occident. Tout se passe comme si, les descendants des
victimes étaient devenus les obligés, amis et solidaires des descendants des bourreaux, sur qui ils décident de ne rien dire. Et ces derniers ne se gênent pas, ils continuent en Mauritanie, au
Darfour et ailleurs. Voilà pourquoi le but de cet ouvrage, est d’éviter que le travail de mémoire qui est entrepris en ce moment sur les traites négrières et plus généralement sur le martyr des
peuples noirs, ne continue que dans un sens hypocritement sélectif.
2. Génocide… Un mot très chargé… N’y
etes vous pas allé trop fort ?
Cette déportation des captifs africains dans le monde arabo-musulman fut dans une large
mesure, une véritable entreprise programmée de ce que l’on pourrait qualifier « d’extinction ethnique par castration massive. » Si la traite
transatlantique a été qualifiée et enfin reconnue comme crime contre l’humanité, celle pratiquée par les Arabes fut un véritable génocide. Il faut noter qu’au chapitre du mépris des Arabes envers
les Africains, l’historien médiéval Ibn-Khaldum qui était le plus célèbre savant arabe de son époque écrivait : « les seuls peuples à
accepter l’esclavage sont les nègres, en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place étant plus proche du stade animal. » La question qui se posait donc, était de savoir, comment
faire pour que ces « animaux », ne se reproduisent pas en terres arabo-musulmanes. Car dès les débuts de cette traite, les négriers
voulaient empêcher qu'ils ne fassent souche. Comme cela n’avait rien de métaphysique, la castration apparaissait comme une solution bien pratique. Ainsi, dans cette entreprise d’avilissement d’êtres humains, si
les Arabes destinaient la plupart des femmes noires aux harems, ils mutilaient les hommes, par des procédés très rudimentaires et qui causaient une effroyable mortalité de l’ordre
de 80% des captifs. Ensuite pour ce qui est des survivants, les harems des notables turcs par exemple, étaient surveillés et protégés par une légion d'eunuques noirs à partir de 1550. Ils étaient
pour la plupart abyssins et envoyés au sultan par le pacha d'Égypte. En Arabie, on en trouvait beaucoup employés sur les lieux saints. Pour ce qui est de la descendance des femmes, il était
extrêmement rare de voir un mulâtre, parce que les enfants nés de leurs relations étaient en général victimes d’infanticide. Elles étaient systématiquement avortées ou leurs enfants se trouvaient
réduits en servitude et le plus souvent eunuques. Quelquefois les enfants nés accidentellement étaient tués par les concubines arabes. Ceci était une pratique courante que tout le monde trouvait
« normale. » Elle n’a cessé que vers le milieu du XIXème siècle avec la colonisation européenne. Il est sans doute difficile d’apprécier l'importance de la saignée subie par l'Afrique
noire au cours de la traite transatlantique. Du Bois l’estime à environ 15 à 20 millions d’individus. Philip Curtin quant à lui, en faisant une synthèse des travaux existants, aboutit en 1969 à
un total d’environ 9,6 millions d’esclaves importés surtout dans le Nouveau Monde, plus faiblement en Europe et à Sao Tomé, pour l’ensemble de la période 1451-1870. Mais quelle que fut l’ampleur
de cette traite, il suffit d’observer la dynamique diaspora noire qui s’est formée au Brésil, aux Antilles et aux USA, pour reconnaître qu’une entreprise de
destruction froidement et méthodiquement programmée des peuples noirs au sens d’un génocide - comme celui des Juifs, des Arméniens, des Cambodgiens ou autres Rwandais -, n’y est pas prouvée. Dans
le Nouveau Monde la plupart des déportés ont assuré une descendance. De nos jours, plus de soixante dix millions de descendants ou de métis d’Africains y
vivent. Si la ponction transatlantique a duré de 1660 à 1790 environ, les Arabo-musulmans ont razzié les peuples noirs du VIIème au XXème siècle. Du VIIème au X VIème siècle, pendant près de
mille ans, ils ont même été les seuls à pratiquer ce misérable négoce, en déportant près de 10 millions d’Africains, avant l’entrée en scène des Européens. Quant aux statistiques de cette
traite, du moins celles parvenues jusqu’à nous, car ses acteurs ne tenaient pas de relations écrites au contraire des atlantistes -, elles sont effarantes. L’étude la plus crédible sur le sujet,
est celle de l’historien américain Ralph Austin. Elle avance un chiffre total de plus de 17 millions d’Africains. A elle seule, cette traite serait à l’origine d’un peu plus de 40% des 42
millions de captifs africains déportés. Mais du fait de traitements inhumains et de castration massive, ils n’ont presque pas laissé de descendance en Irak, en Turquie, en Iran ou alors très peu
au Maghreb et en Arabie.
3.
La castration ou des hommes transformés en eunuques, a-t-elle existé ailleurs dans le monde comme arme contre un
peuple dominé dans l’histoire de l’humanité ?
Il est un fait, depuis des temps fort anciens, les eunuques étaient denrée
recherchée dans le monde arabe. Les premières victimes étaient « Slaves » d’Europe centrale, massivement capturées dans des razzias, au mépris des excommunications, puis
vendus par les Vénitiens ou les Marseillais aux notables d'Égypte et transformés en eunuques. C’est à l’époque carolingienne, que des chrétiens européens effectuaient ces razzias auprès des
peuples installés dans la majeure partie de l’Europe centrale et orientale. Le motif est qu’ils étaient des Païens. Dès le Xème siècle, les monarques saxons Henri l’Oiseleur et Otton Ier par
exemple, encourageaient non seulement ces entreprises bestiales, mais y participaient activement. Mais pour ce qui est des eunuques en général, il y eut
donc et au commencement, les jeunes slaves emmenés de force en Espagne, pour y subir l’amputation les privant de leur virilité. Mais cette source d’eunuques blancs
allait très vite tarir, avec l'apparition d'États puissants en Europe de l'ouest et l'arrêt de l'expansion musulmane aux Pyrénées. Ce « déficit blanc » allait
cependant être largement compensé, par un approvisionnement accru en esclaves venus du continent noir. Eunuque provient d’un mot grec qui signifie lit (de femme) et
d’un autre qui signifie avoir. Dans la Bible le terme semble s'appliquer à des hommes, qui ont été castrés (souvent pour éviter tout problème
avec les femmes de la noblesse.) Cependant, il est aussi fait allusion à des eunuques de cours royales qui n'étaient pas nécessairement castrés. Les eunuques dont il est question dans la Genèse,
chez Isaïe, Jérémie et Daniel ou dans le Nouveau Testament, n'étaient pas tous castrés. Eunuque est aussi un terme générique qui inclut les femmes
stériles, les officiels étrangers d'une cour, les magiciens, les prêtres aussi bien que les hommes castrés. Ces derniers étaient souvent des homosexuels. Le sens
d’eunuque s’étendra à bien des fonctions comme celle de domestique. On attribue l’origine des eunuques à la légendaire reine Sémiramis. On rapporte aussi que Cléopâtre aimait à s’entourer
d’eunuques. Cependant à l’origine, on pratiquait la castration pour châtrer des prisonniers de guerre. C’est le moyen que trouvaient certains peuples, pour réduire leur force musculaire,
diminuer leur combativité et éviter qu’ils ne fassent souche. Ce châtiment fut progressivement étendu aux criminels et aux condamnés pour viol. Chez les Turcs et les Chinois, la castration totale
était courante. Bannie par le coran, elle était cependant tolérée dans le monde musulman. Du fait que la pratique de la polygamie et ses harems, y nécessitait une surveillance, il fallait par
conséquent, que ceux qui en avaient la charge soient inoffensifs. Ainsi pour les captifs africains, la castration était le moyen idéal. Car non seulement ils devenaient inoffensifs dans les
harems, mais leurs chances de faire souche dans ces sociétés racistes et méprisantes pour les Noirs étaient annihilées.
4. Comment expliquez-vous le Silence
des peuples africains sur cette traite transsaharienne et orientale ?
Ce silence sélectif entourant le crime arabo-musulman envers les peuples noirs et sa sous-estimation, pour mieux braquer
les projecteurs, uniquement sur la traite transatlantique, est un ciment devant réaliser la fusion des Arabes et des populations négro-africaines, longtemps « victimes solidaires »
du colonialisme occidental. Pourtant, des chercheurs africains musulmans ont tenté une longue et délicate entreprise intellectuelle et religieuse, afin de déconnecter l’Islam de la couleur de la
peau. Ceci pour mieux rapprocher les peuples noirs des Arabes et gommer une sombre page de leur histoire commune. Ce travail a littéralement été balayé par le réformisme musulman et le
nationalisme arabe. Parce que ces deux mouvements dans leur essence même, reposent avant tout sur le dualisme Noirs ( sudan), inférieurs, Abd (esclaves) et assimilés à
Idolâtres, d’où un subtil déni d’Islam et les autres musulmans, supérieurs c’est-à-dire les Blancs (Beïdans.) Cela eut au moins, le mérite de clarifier certains non-dits lourds de sens
et de décider quelques chercheurs africains - à travers des articles et autres paragraphes dans de rares publications ici ou là -, à traiter du crime arabo-musulman envers les peuples noirs, mais
toujours assez timidement. Aussi, peut-on se demander pourquoi une telle délicatesse et cette hypocrite tendance à dédramatiser le rôle et l’impact de cette entreprise criminelle ? Que des
lettrés et autres intellectuels arabo-musulmans, tentent de faire disparaître jusqu’au simple souvenir de cette infamie, comme si elle n’avait jamais existé, peut être aisément compréhensible.
Ces derniers ne se décident toujours pas, à regarder leur histoire en face et à en débattre avec leurs compatriotes. Ce qui explique que ce pan de l’histoire de l’humanité, reste encore
profondément enfoui dans la mémoire coupable de ces peuples qui en sont responsables. En revanche, il est difficile de comprendre l’attitude de nombreux chercheurs - et même d’Africains
américains qui se convertissent de plus en plus à l’Islam –, qui n’est pas toujours très saine et fortement animée par une sorte d’autocensure. Comme si évoquer le passé négrier des
arabo-musulmans, revenait à essayer de minimiser la traite transatlantique.
5. Pourquoi la qualifier de « Traite arabo-musulmane » ? Quelle relation avec la religion musulmane ?
Certains historiens anglo-saxons l’appellent la Muslim connection (ou filière musulmane.) Car les négriers qui
ont trempé dans ce trafic, n’étaient pas exclusivement arabes. Ils étaient aussi Iraniens (Persans), Berbères, Turcs, Javanais etc., avec souvent pour seul point commun la religion musulmane.
Tous ont cependant participé à cette infamie, à des degrés plus ou moins grands. Les marchands arabes vendaient aussi des esclaves noirs jusqu’en Inde musulmane. Au milieu du XVème siècle, le roi
du Bengale en possédait près de 8 000. A partir du Xème siècle, on signale même des Noirs vendus en Chine. Une inscription trouvée à Java et datée de 860 de notre ère, identifie sur une liste de
domestiques, des « Zendjs », originaires d’Afrique orientale. Une autre inscription javanaise mentionne également des esclaves noirs, offerts par un roi javanais à la cour impériale de
Chine. Donc arabo-musulmane parce que le seul point commun entre tous ces esclavagistes était la religion, mais qui n’en était pas la principale
motivation, même si l’Islam n’a jamais aboli le droit de capture et de mise en servitude des non croyants.
6. Pouvez-vous revenir brièvement sur
l’origine du problème du Darfour ?
Dès le VIIème siècle de notre ère, les Arabes ayant conquis l’Égypte, allaient y asservir
de nombreux peuples venant de la Nubie, de Somalie et du Mozambique ou d’ailleurs, au cours de la première expansion islamique. Les Nubiens avaient été durement secoués par les foudroyantes
attaques des forces arabes. Ils se défendirent courageusement, mais, devant une supériorité numérique et la détermination des soldats du Jihad (la guerre sainte contre les incroyants), les Nubiens préférèrent négocier la paix
en concluant en 652 un traité connu sous le nom de Bakht. C’est l’émir Abd Allah ben Saïd qui se chargea des négociations avec le roi nubien Khalidurat. Un traité fut
conclu engageant le monarque africain vaincu à livrer chaque année 360 esclaves des deux sexes, qui seront choisis parmi les meilleurs du pays. C’est ainsi qu’une traite négrière en grand, fut
pour la première fois inventée par les Arabes, lorsque l’émir et général Abdallah ben Saïd imposa aux Nubiens la livraison annuelle et forcée de 360 esclaves. La majorité des hommes objets de ce
contrat, était prélevée sur les populations du Darfour. Tout avait commencé là et cela n’a apparemment jamais cessé. C’est le mépris manifesté par les Arabes envers les Noirs, qui pendant
longtemps, continuera de se manifester cruellement, par la pratique de l’esclavage à peine dissimulée et maintenant par un véritable nettoyage ethnique au Darfour, qui a valu au président
soudanais, une inculpation par le Tribunal Pénal International. Et chose incroyable, la Ligue Arabe lui manifeste sa solidarité pendant que les dirigeants africains brillent par leur silence.
Ainsi la ponction humaine commencée en 652 se répartira soit localement, soit beaucoup plus loin que toutes les régions du monde musulman et ce, du
VIIème au XXIème siècle et continue encore au Darfour, avec son lot de massacres voire, de génocide à ciel ouvert.
7. Odyssée… « Au commencement
était l’homme noir »… C’est le titre du premier chapitre de votre avant dernier ouvrage « L’Eclipse des Dieux ». Etes-vous afro centriste ?
En fait l’histoire des peuples du continent noir a débuté bien avant celle du reste de l’humanité. Elle l’a même
engendrée, car du point de vue scientifique il est communément admis aujourd’hui, que tous les hommes qui peuplent notre planète ont une terre d’origine commune : l’Afrique. Ce qui sous-tend
que nos ancêtres seraient bien apparus en Afrique noire, il y a quelques millions d'années ! Leur transformation de l’état de « primates » à celle d’humanoïdes puis d'êtres humains
est due au hasard et aux effets de la sélection naturelle. Une étude réalisée par l’UNESCO et faisant désormais autorité sur la question se conclut ainsi : Les premiers hommes, étaient
ethniquement homogènes et forcément négroïdes. La Loi du savant Gloger, qui s’applique aussi à l’espèce humaine, veut que les organismes des animaux à sang chaud qui se développent sous un climat
chaud et humide aient systématiquement une pigmentation noire (eumélanine.) Si donc l’humanité a pris naissance en Afrique, sous la latitude des Grands Lacs dans la vallée du Kenya, elle avait
nécessairement une pigmentation noire dès l’origine. Ainsi, du point de vue strictement temporel, l’on peut affirmer sans risque de se tromper qu’au commencement était l'homme
noir.
8.
Cheikh Anta Diop… Une des Références incontournables pour qui veut étudier l’histoire de l’Afrique. On vous accuse
pourtant de tailler en pièces ses thèses sur l’origine de la civilisation pharaonique. Où y a-t-il divergence entre vos travaux?,
Comme vous le savez, le continent noir est longtemps resté
marginalisé au regard du patrimoine universel, victime des préjugés eurocentristes, qui étaient le lot de plusieurs
générations de chercheurs. A contrario de remarquables pionniers comme Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga entre autres, ont relevé le défi de corriger ces falsifications
historiques. Leurs travaux et ceux de leurs disciples - toutes thèses confondues -, se sont voulus objectifs et honnêtes. Plus jeune, je me suis aussi,
longtemps employé à les intégrer, affiner et même fièrement diffuser, sans pour autant appartenir à aucune école. Cependant, les époques, les hommes passent et des fois
aussi vite dépassés que leurs travaux. Ceci parce que les sciences notamment l’anthropologie et l’histoire ne sont pas statiques. Les récits d'historiens comme Hérodote ou Diodore de
Sicile, souvent cités par Cheikh Anta Diop, apportent, il est vrai, des éléments, pouvant faire penser que le fabuleux patrimoine historique de la
civilisation égyptienne, trouverait sa source en Afrique noire. Mais toutes les découvertes sérieuses
incitent aujourd’hui à admettre qu'une population noire, n'a jamais été majoritaire en Égypte. Autrement comment expliquer que des 74 Millions d'égyptiens actuels, on ne recense qu'une très
infime minorité de Noirs, souvent qualifiés de « Abd » ou « Zenjis » (esclaves), par leurs compatriotes. Leur quasi disparition en Egypte, ne
saurait s’expliquer – comme certains tentent de le faire -, par exode massif, fuite volontaire ou même par ce génocide que fut la castration généralisée des Noirs au cours de la traite
arabo-musulmane. Car de tels bouleversements catastrophiques des peuples, n'ont au demeurant, jamais réussi dans l'histoire de l'humanité, à rayer totalement de la carte ethnique d'un pays, sa
composante « autochtone » et originellement majoritaire. Les rescapés amérindiens et aborigènes en sont un témoignage vivant. Une réalité incontournable cependant est que dans la
région Nord du continent noir, il y eut une longue cohabitation entre Négro- africains - Bovidiens mélanodermes, c'est-à-dire des Nègres purs parlant une langue dite nilo-saharienne et les
ancêtres des Peuls, Négro-africains déjà métissés -, et Protoberbères depuis les origines du peuplement du Sahara fertile et verdoyant. Une grande partie de ces Tassiliens émigreront vers la vallée du Nil, pour constituer le premier véritable peuplement de l’Egypte antique. Par la suite des interactions très étendues entre les peuples du Nord du continent et ceux de la partie subsaharienne et dans les deux sens, ont laissé des
traces indélébiles. Et c'est probablement au cours de ces mouvements de populations, que des « Egyptiens noirs » notamment les ancêtres des Peuls entre autres, éleveurs itinérants et
nomades depuis presque toujours, ont diffusé au sein de nombreuses sociétés négro-africaines, des fragments de cultures et des croyances, qui se retrouvent aujourd'hui à la fois en Égypte et dans
l'Afrique noire. C'est à partir de ces éléments que spéculent certains chercheurs afrocentristes, qui se perdent en conjectures en tentant de rattacher exclusivement la civilisation égyptienne à
l'Afrique noire. En fait sur les origines de la civilisation pharaonique, c’est l'historien juif du Ier siècle, Flavius Joseph,
qui me mit sur une autre piste. Il parlait clairement d'une immigration préhistorique de peuples mésopotamiens en Egypte. Et ces « immigrants bâtisseurs», le Livre de la Genèse les qualifient de « Fils de Cham » l'un des trois enfants de Noé, maudit par
son père et que l'on aurait abusivement désigné, comme l'ancêtre des peuples noirs. La confusion avec une « Égypte négro-africaine » viendrait probablement de cette interprétation. Pour
le reste, je vous renvoie au prochain numéro d’AFRICULTURES qui publiera le résultat de mes recherches.
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=8357
Celui-ci recense indiscutablement les apports des Sumériens, qui ont véritablement servi de ressort au décollage de la civilisation égyptienne au début de sa période dynastique.
9. Vous revisitez l’histoire et
l’anthropologie des peuples de la Mère Afrique, ramant souvent à contre courant… Pas très confortable, j’imagine et surtout stressant…Est-ce volontaire ?
En fait dans mon approche de l’évolution de l’humanité, il n’y a pas d’homme ou de peuple véritablement unique, dans
l’espace et dans le temps. Il n’existe pas de groupes humains chez qui on noterait des différences fondamentales avec le reste de l’humanité. Aussi nous devons apprendre à écrire notre histoire
de la même manière que le font les autres. Toute organisation sociale et économique répond essentiellement aux exigences de la nature humaine. Elle répond à son caractère agressif, naturellement
ambitieux et conflictuel. Autrement dit, chaque individu, base de l’ensemble, cache plus ou moins au fond de lui un désir de briller et de dominer. Ces caractéristiques sont communes aux
Egyptiens, aux Grecs, aux Romains, aux Mongols comme aux Zoulous. Les attaques que je subis – et dont vous faites allusion -, ont commencé avec la publication de mon étude sur Chaka et l’empire
zoulou. Comme si l’on me reprochait de n’avoir pas mis en valeur un de nos héros noirs. Ceci parce que j’ai également souligné le coté monstrueux du personnage. Alors que beaucoup de conquérants
et grands meneurs d’hommes, pareillement compris, canalisé et exploité des ambitions de grandeur de leurs peuples. Certains l’ont fait dans un intérêt collectif, d’autres les ont mises au service
de leur rayonnement personnel. En y regardant de plus près, d’Alexandre à Bonaparte et de César à Chaka, on croirait assister à la répétition d’une pièce déjà vue. Seul le décor
change. Mais comme vous le savez, une des mystifications de l’histoire humaine est que les peuples ont toujours perçu ces meneurs comme des êtres
d’une supériorité culturelle et intellectuelle qui les placent au-dessus de tout concept moral préétabli. Pourtant ce concept absurde de surhomme développé par Nietzsche et récupéré par la
plupart des dictateurs, relève plus de la fiction grammaticale que d’une quelconque réalité. Car ces acteurs, même perçus comme hors du commun, n’en demeurent pas moins l’image ou le reflet de
l’homme ordinaire. Mais de l’homme ordinaire poussé à ses extrêmes et qui révèle tout ce qu’il a de bestialité inspirée et de démesure. De la même manière, si l’homme était un grand génie
militaire et révolutionnaire social, Chaka Zoulou n’en a pas moins écrasé des peuples qui refusaient d’avancer avec lui. Il a aussi assombri une page de l’histoire. Sa route est jalonnée de morts
et de destructions. Dans l’histoire de l’humanité, il a aussi associé son nom à ceux qui peuvent évoquer carnages et brutalité. Il ne souffre l’ombre d’un doute que – même s’il est à peu
près impossible d’avancer des chiffres précis – des milliers d’hommes ont péri sous l’avance des forces zouloues. De vastes portions de territoires, situées entre la rivière Umzimvubu et le
lac Nyassa au Nord, l’océan indien à l’Est et le désert du Kalahari à l’Ouest, ont subi au cours de cette épopée des ravages ayant pratiquement dépeuplé toute la zone. De nombreux clans qui ont
refusé, à tort ou à raison, d’épouser l’objectif du conquérant zoulou, ont disparu. La mémoire africaine a aujourd’hui oublié jusqu’à leurs noms. En cela, Chaka était un authentique et
impitoyable cavalier nègre de l’Apocalypse. Je n’ai fait que brosser le portrait de l’homme comme les chercheurs occidentaux, asiatiques et autres le font sans complaisance. Car l’histoire et
l’anthropologie ne sont pas au service des falsificateurs dans un sens ou dans un autre. Il faut l’écrire sans haine, passion ou militantisme.
JE VOUS REMERCIE M. N’DIAYE