COLLOQUE
Le livre : Outil de promotion ou objet de luxe ?
COMMUNICATION
Mme MARIE LOUISE SOCK
Le livre et l’enfant : Le cas du Sénégal en 2008
L’ enfant est un être en perpétuel devenir, en continuelle transformation. Le livre, compagnon privilégié de l’enfance, est destiné à l’enfant lecteur, à l’apprenti lecteur et même à celui qui ne sait pas lire et qui sollicitera l’aide de l’adulte. Il ratisse donc large, tentant, tant bien que mal, de tenir compte de la spécificité de chaque tranche d’âge, du bébé à l’adolescent.
Cet ami de l’enfant propose donc des berceuses qui endorment, des chansons que les enfants apprennent à fredonner, des recettes, des activités manuelles, des histoires qu’il aime écouter ou lire…
De quand date le premier livre pour enfants ? La question fait débat et nous ne rentrerons pas dans cette querelle de cochers. Nous citerons, par ordre d’ancienneté :
1. La Civilité puérile d’Erasme en 1530
2. L’Orbis sensualum pictus de Coménius en 1658
3. Les histoires ou contes du passé de Perrault en 1697
4. La suite du 4° livre de l’Odyssée d’Homère ou les aventures de Télémaque, fils d’Ulysse et de Fénelon en 1699
En Afrique, par contre,
les histoires destinées aux enfants étaient orales jusqu’aux années 60/70, époque où nait une littérature écrite et illustrée destinée aux jeunes. Cette littérature était constituée de contes,
mythes, légendes, chants, poésies, berceuses, proverbes, devinettes et jeux de mots.
Avec la colonisation et les bouleversements sociaux puis culturels qui en ont découlé, la
littérature orale commence à perdre pied dans les villes tout en restant vivace dans les villages, plus traditionnalistes car moins exposés sur le plan culturel.
Nous noterons cependant que cette littérature orale ne disparaîtra pas totalement dans les villes, subsistant grâce au dévouement et à l’engagement d’artistes, de chanteurs, de conteurs et d’amuseurs qui se produisent à la radio, à la télévision et lors des manifestations socio-culturelles.
Les thèmes abordés dans nos livres destinés à la jeunesse sont issus du patrimoine oral, du quotidien des villages et des villes. Il suffit de faire un tour sur le rayons des différentes librairies de la place pour s’en rendre compte.
Comment se présente le livre pour enfant ? On le trouve de plus en plus dans le commerce, édité dans des matériaux qui tiennent compte de la classe cible : carton fort, tissu, plastique, etc… Ils sont très coloriés et farcis d’images histoire de les rendre attrayants.
Concernant le contenu, nous noterons la différence entre les manuels didactiques qui se diversifient et tiennent de plus en plus compte de la spécificité culturelle de tous, et les autres livres : albums, romans, livres de contes, livres de coloriage, revues…
Nous noterons au passage, la création de journaux pour enfants qui décryptent l’actualité en mettant les nouvelles du jour ou de la semaine à la portée des jeunes, en français facile.
Mais, que lisent les jeunes ? Quels sont les goûts et les attentes des enfants ? Comment les connaître ? Comment nos enfants les formulent ils ? Quelles interprétations, nous adultes, donnons nous à ces desideratas ? Voici les questions clé auxquelles nous, écrivains, devons répondre. Nous décidons d’écrire des livres pour enfants alors que nous n’avons pas la même perception des choses qu’eux. Dans nos livres, nos intentions d’adultes avouées ou habilement suggérées. Nous imposons subtilement, en imposant de fait notre point de vue d’adulte manipulateur. Là se pose l’éternel question de la relation enfant/adulte. Peut on le laisser être l’unique artisan de son savoir comme d’aucuns le prônent ou lui faire croire qu’il décide alors qu’en fait, il suit un chemin soigneusement balisé sans en avoir conscience ? La grande question !... Je ferai juste remarquer à l’assistance que parfois, dans nos productions, il y a des ouvrages méprisés, détestés par certains parents alors que les enfants les adorent. Je ne citerait là que le cas de la BD de Titeuf que tout le monde connait.
Pour circonscrire le problème au cas du Sénégal, pays hôte de cette fête du livre, nous dirons que la pauvreté dûe au marasme économique, la dictature de l’information qui laisse une place de roi à la politique font que la culture a peu de place dans nos vies. La littérature pour jeunes est quasi méconnue même si elle se bat pour exister.
Dans combien de maisons sénégalaises trouve t’on des livres pour enfants qui ne soient utilitaires ? Les jeunes se rabattent sur les bibliothèques de quartiers, d’écoles et les centres culturels. Mais là aussi, combien sont ils à pouvoir s’y rendre régulièrement confrontés qu’ils sont, très souvent, à l’éloignement géographique ?
Nous ne saurions passer sous silence, nous faisant une joie de « griffer » au passage, la vétusté de certaines bibliothèques qui n’offrent que des rayons pousssiéreux, garnis de quelques vieux livres déchirés, sales et qui en rebuteraient plus d’un…
Ces livres sont souvent le fruit de collectes faites en Europe ou sous d’autres cieux, des livres de seconde main afferts à telle ou telle structure. Les animations autour du livre au sein de ces bibliothèques ainsi que l’assistance technique d’adultes fait défaut.
Comment y attirer et y retenir la jeunesse ? Un effort devrait être fait dans ce sens. Les stocks devraient être régulièrement renouvelés et correspondre aux désirs et besoins des enfants.
On ne peut attirer des mouches avec du vinaigre, dit l’adage. Nous sommes de plein pied dans l’ère des nouvelles
technologies et de l’informatique. La perte de vitesse du livre face à l’ordinateur est un phénomène mondial. Nous ne pourrons y faire face, même avec la meilleure volonté du monde, avec ce que
recèlent les rayons de certaines bibliothèques.
En ce qui concerne les touts petits, Disney a mit le paquet. Presque tous les classiques se retrouvent sous forme de dessins animés et les touts petits adorent cette formule. L’idéal
aurait ét que l’on puisse, dans toute bibliothèque familiale, trouver le CD et la version livre de tous ces classiques. Les enfants auraient ainsi toute latitude de passer de l’une à l’autre
formule selon leur humeur. Les adolescents aussi, sont pris en compte par l’audiovisuel. Jules Verne est revisité lui aussi et les films tirés de ses romans captivent les jeunes. Bien qu’il soit
nécessaire de signaler ici que sa cote est en ce moment descendante, les jeunes préférant des auteurs de science fiction qui les mènent plus loin dans l’imaginaire et qui correspondent plus à
leur conception du monde virtuel. Nous ne saurons refermer cette parenthèse sans parler du phénomène Harry Potter… Combien d’adolescents ont pu lire ces livres ? Les CD par contre sont
gravés en un tour de main et les voilà partis pour des heures de magie. Il n’y a rien à y redire, l’audiovisuel est un redoutable concurrent tout en étant un partenaire
incontournable.
Nous allons à nouveau mettre les pieds dans le plat, n’ayant pas l’habitude de mettre de l’eau dans notre vin lorsqu’il s’agit de défendre les droits des enfants.
Nous aborderons donc le problème des enfants aveugles, qui apprennent à lire avec l’alphabet braille. Cet apprentissage ardu, ils s’y attèlent avec courage et détermination. Passé ce stade, qu’ont-ils à se mettre sous les doigts afin d’améliorer leurs capacités en lecture et en compréhension fine d’un texte ? Pas grand-chose !... Et nous disons ceci pour faire preuve d’un peu de diplomatie, une fois n’étant pas coutume… En fait, et pour dire vrai, il n’y a rien !... Et il suffit d’un peu pour que ces enfants retombent dans l’analphabétisme et c’est l’exclusion sociale à coup sûr qui les attend arrivés à l’age adulte.
Quid des enfants alphabétisés en arabe ? Les livres qu’ils ont sous la main sont utilitaires ou ont trait à la religion. Encore des enfants qui ont le droit aujourd’hui, de nous demander des comptes.Qu’avons-nous à leur dire pour notre défense ?
Quant aux enfants analphabètes, quelles chances ont-ils ici, là, maintenant de pouvoir tenir un livre entre leurs mains, ne serait ce que pour en regarder les images et se familiariser avec le graphisme des lettres.
Nous poursuivrons notre litanie, signalant aussi à l’assistance le cas des enfants alphabétisés en langues nationales. Cheikh Aliou Ndao, un dramaturge et romancier Sénégalais qu’on ne présente plus, proposait d’écrire des livres en langues nationales, s’étant lui même investi dans ce crénau. Selon lui, c’est le meilleur outil d’alphabétisation et d’éducation. Dans les années 60, en compagnie d’autres intellectuels dont l’actuel Président de la République, M° Wade, ils se sont réunis à Grenoble et ont fait des recherches qui ont mené plus tard à un syllabaire en wolof. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. L’alphabétisation a fait de grands pas grâce à l’adhésion des masses populaires. Les recherches en pédagogie ont montré les bienfaits du bilinguisme.
Paradoxalement, le travail en langues nationales reste superficiel, stagnant au stade de l’initiation à la lecture et au calcul pour le plus grand nombre.
Qu’en est il de la production littéraire en langues nationales ? Où se cachent les écrivains sénégalais et africains ?
Celle qui est destinée aux adultes, bien que commencée depuis plus d’une dizaine d’années, en est toujours à ses balbutiements avec la parution de journaux, documentaires utilitaires et romans produits tant bien que mal par de preux chevaliers engagés.
Quid de la littérature pour jeunes et enfants ? Les éditeurs interpellés sur la question pointent un doigt accusateur vers le marasme économique.
L’écrivain Boubacar Boris Diop nous dit avec philosophie, je le cite : « Il est difficile de faire de l’enfant un roi pour un royaume qui n’existe pas. » Vrai… Le marasme du secteur de l’éditionne ne permet pas une spécialisation. Et de toutes les façons, vu la conjoncture, les parents n’achètent les livres qu’en fonction de l’orientation qu’ils souhaitent donner à leurs enfants. Les éditeurs et libraires n’ont donc pas le choix.
Si l’édition est quasi nulle, les écrivains en souffrent. Une raison supplémentaire pour moi de saluer aujourd’hui la mémoire de Feue Tata Fatou Ndiaye Sow, écrivain pour enfants. Que la terre lui soit légère et que Dieu l’accueille dans le Paradis des enfants, elle qui leur a tout donné.
Nous exorterons au passage tous ceux qui ont reçu le don, à s’investir dans la littérature destinée à notre jeunesse en devenir dans ce monde chaotique. C’est plus qu’un challenge, c’est un sacerdoce.
Il me semble, pour conclure, que seule une option politique conséquente pourrait nous aider à nous en sortir. Il faudrait des subventions conséquentes accordées aux maisons d’édition, une exonération de frais de douane pour les livres et des cadres d’échange et de rencontre pour les écrivains. Toutes ces mesures iraient de pair avec des initiatives telles que les salons et fêtes du livre, les ateliers d’écriture dans les quartiers, l’installation, la dotation et l’animation des bibliothèques. Il faudrait redonner à la jeunesse le gôut de la lecture et à la lecture la place qui est la sienne.
Des initiatives telles que la fête du livre de Saint Louis sont à saluer car elles constituent des jalons importants dans la vie culturelle du pays vers l’objectif de développement que nous nous sommes fixés.
Je vous remercie.